Rencontre

« Notre objectif ? Quantifier les investissements nécessaires à la mise en œuvre de la SNBC »

En France, la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) donne les orientations pour mettre en œuvre la transition vers une économie durable, circulaire et bas carbone d’ici à 2050. Cette mise en œuvre repose sur des investissements importants (financiers, en ressources humaines et en matières). Des travaux de recherche ont développé des modèles qu’ingénieurs et économistes utilisent aujourd’hui pour établir ces besoins en vue d’appliquer la SNBC dans l’ensemble des secteurs d’activité, et notamment dans celui du bâtiment. Regards croisés de Hadrien Hainaut, chef de projet Investissement au sein de l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE) et Albane Gaspard, animatrice de secteur Prospective du bâtiment et de l’immobilier à l’ADEME


Comment se positionne I4CE sur l’enjeu de la rénovation des bâtiments en France et quel est son rôle en la matière ?
Hadrien Hainaut

L’une des missions d’I4CE est d’accompagner la mise en œuvre des objectifs nationaux en matière de climat, et notamment ceux du bâtiment. L’ambition nationale est de rénover à des niveaux de performance élevés une partie du parc d’ici à 2050 seulement. Dans cette perspective, I4CE réfléchit aux manières de financer cette stratégie et d’envisager les meilleures politiques d’accompagnement possibles, notamment à l’échelle des ménages. Pour cela, nous produisons plusieurs rapports de référence dont un rapport annuel (« Le panorama des financements climat ») sur l’état des investissements et les besoins dans l’ensemble des secteurs. Nous publions également des études et des outils de modélisation qui aident les pouvoirs publics à appréhender la situation des ménages qui devront investir. Nous participons aussi à des initiatives de groupes (avec d’autres think tanks et experts), notamment coordonnées par l’ADEME, afin d’acquérir une vision commune sur ces sujets.

Comment l'ADEME et l4CE travaillent-ils ensemble sur la rénovation des bâtiments ?
Albane Gaspard

L’ADEME dispose de modèles pour éclairer différents enjeux de la rénovation des bâtiments (par exemple, quels travaux faire pour atteindre les objectifs 2050, les économies d’énergie ou de carbone associées, etc.). On peut citer les modèles MENFIS et ANTONIO sur les logements, mais également MICO sur la climatisation ou RENOMAT, qui calcule le besoin en matériaux pour la rénovation. Le travail mené avec I4CE permet de quantifier les besoins d’investissement nécessaires à la transition (SNBC, scénarios ADEME).

Quels enseignements tirez-vous de ces réflexions en commun ?
Hadrien Hainaut

Les enseignements sont nombreux. Pour n’en citer qu’un, je reviendrai sur la controverse qui oppose les approches à court et long termes, notamment parmi les économistes. La plupart recommandent de réduire les émissions en agissant sur les leviers à court terme, sans vraiment interroger les enjeux à long terme, alors que la durée de vie des équipements dans le bâtiment est particulièrement longue. Nos travaux ont montré que nous devons privilégier des stratégies d’ensemble et ne pas nous enfermer dans des approches de court terme. Cela induit beaucoup de changements dans les raisonnements des chercheurs.

Albane Gaspard

La réflexion a permis de passer d’une approche en silos (avec, d’un côté, les travaux de recherche d’ingénieurs en thermique des bâtiments et, de l’autre, ceux des économistes) à une vision mieux partagée. On ne s’interroge plus sur les solutions rentables à court terme, mais on calcule le montant des investissements nécessaires – ce qui est incontournable quand on veut réfléchir à une politique publique – et aux moyens de les réunir.

A qui s’adressent vos travaux de quantification des besoins d’investissement ?
Hadrien Hainaut

Nous avons plusieurs cibles. Nous travaillons notamment pour et avec les concepteurs des politiques publiques et des experts dans l’administration. L’un de nos objectifs est de les inciter à améliorer les politiques publiques en appréhendant plus finement la situation des ménages qui bénéficient des aides. Nous échangeons également avec les acteurs publics en charge des budgets (nationaux et locaux) pour les aider à dimensionner les moyens (Combien de milliards d’euros doivent être programmés ? Comment mieux dépenser ce budget et le plus équitablement possible ?…) Nous parlons également avec les macroéconomistes qui envisagent la transition comme un défi d’investissement à l’échelle de la nation. Quels que soient nos interlocuteurs, nous présentons une vision diversifiée du futur pour réfléchir aux besoins nécessaires à la mise en œuvre de la SNBC.

Y a-t-il un écart entre les niveaux d’investissement actuels et les besoins réels ?
Hadrien Hainaut

Oui, et cet écart est de l’ordre de quinze milliards d’euros. Ce montant frappe souvent car, de tous les secteurs concernés par la transition, le bâtiment est celui qui a le plus de besoins d’investissements ; et il interpelle d’autant plus les acteurs publics que ceux-ci estiment déjà le soutenir largement. Notre travail consiste donc également à montrer les solutions qui permettent de financer ce secteur (par exemple, en combinant mieux les aides publiques, les emprunts de garantie, etc.).

Quels impacts ont ces modélisations sur la planification de la transition écologique ?
Albane Gaspard

Comme indiqué, la planification de la transition s’appuie en France sur un scénario de référence, la Stratégie nationale bas carbone, que l’État révise à échéance régulière. Nos travaux de scénarisation et les modèles associés nourrissent directement la SNBC, lui permettent de prendre en compte un large éventail de possibles et de lier entre eux les enjeux propres à chaque secteur (par exemple, si on opte pour des isolants biosourcés, quelles surfaces de terres devront être consacrées à la production de ces matériaux, etc.). La SNBC peut s’appuyer sur les ordres de grandeur que nous produisons pour estimer l’impact de la transition sur chaque secteur d’activité et affiner ses projections.

Selon vous, quelles sont les forces et les faiblesses de la modélisation actuelle ?
Hadrien Hainaut

Ces modèles nous permettent d’avoir une bonne connaissance du parc existant et des travaux que les ménages entreprennent. Ils sont par ailleurs capables de connecter les enjeux liés à l’énergie, au climat, mais aussi à l’économie domestique. Nous sommes donc en mesure de proposer des stratégies qui visent plusieurs objectifs simultanément. Néanmoins, il reste à mieux cibler et séquencer la stratégie (Par quels logements doit-on commencer ? Quand ? Quelles solutions mettre en œuvre dans les villes ? Dans les campagnes ?…). La modélisation doit également nous aider à agir sur les leviers (Comment réduire les coûts ? Comment prendre en compte les coûts qui ne sont pas fixes ?…). Dans le cas contraire, nous risquons de bien documenter la situation sans pour autant résoudre les problèmes.

Albane Gaspard

De nombreux sujets restent à explorer. Nous avons par exemple besoin d’étendre nos modèles aux territoires d’outre-mer. Il reste aussi à instaurer un dialogue entre les modélisateurs (thermiciens, ingénieurs, économistes) pour qu’ils partagent la même façon de représenter la rénovation des logements. Enfin, les modèles travaillent dans des mondes où nous disposons du nombre d’artisans et du volume de ressources nécessaires à la rénovation, et la seule contrainte envisagée est liée aux financements. Mais comment ferons-nous si, demain, nous n’avons plus ces ressources ou si leurs prix augmentent ? Nous avons donc besoin de modèles capables de poser la transition dans un contexte de crises et de ruptures pour réfléchir à la résilience de nos scénarios.

Bio express

Expert sur les politiques énergie-climat, Hadrien Hainaut a notamment développé des outils de modélisation de la transition énergétique et des méthodes d’évaluation des politiques publiques sectorielles
(bâtiment, R-D) qui nourrissent le débat public. Il a rejoint I4CE en 2015, avec la mission de documenter et d’analyser l’investissement climat en France afin de mieux comprendre les outils et acteurs du financement nécessaires à la mise en œuvre de la transition bas carbone.